Le hêtre appartient à l’ensemble des arbres feuillus. Mais à Lannemezan, il est devenu un épineux : le dossier qui pique dur entre la Communauté de communes du plateau soutenant le projet d’implantation d’une grande scierie dédiée au hêtre pyrénéen, d’un côté, et, de l’autre, "Touche pas à ma forêt !", le collectif de 43 associations s’inquiétant des menaces que cette exploitation industrielle ferait peser sur les hêtraies et au-delà, sur l’écosystème forestier des Pyrénées. "La scierie projetée par le groupe italien Florian est surdimensionnée par rapport à la ressource réelle en bois", alertent-elles en substance, relayant notamment l’analyse des professionnels de la filière pour lesquels le potentiel en arbres n’est pas là, au regard de la qualité de premier choix que vise le groupe italien. En chiffres ?
Florian, troisième opérateur européen pour le hêtre, voudrait sortir à terme 50 000 m3 par an de la future scierie de Lannemezan, destinés à la fabrique de parquets, meubles ou escaliers.
Abattre 200 000 m3 par an
Une belle grume ne contenant 25 % du bois valorisé par le scieur, il faudrait donc abattre annuellement 200 000 m3, estiment les porteurs du projet… Non, "il faudra minimum 400 000 m3 pour répondre à cette demande", calculent pour leur part les opposants, divisant par deux la part exploitable à l’hectare, chaque partie faisant une lecture opposée de la ressource en hêtre dressée par l’inventaire forestier de l’IGN.
200 000 m3 ? Compte tenu du stock actuel des Pyrénées et d’un accroissement de 1,1 million de m3 du hêtre par an, c’est une perspective réaliste dans le cadre d’un projet réfléchi, plaident Bernard Plano (PS), maire de Lannemezan, président de la communauté de communes du plateau et Jean-Michel Noisette, ancien de l’ONF, chargé de mission sur ce projet. Et de développer : "C’est un écosystème qu’on construit depuis 6 ans autour du hêtre notamment pour inciter les propriétaires privés à mieux l’exploiter mais aussi afin de trouver des revenus pour les communes possédant des hêtraies, le tout s’inscrivant dans le cadre des politiques "forêt-bois" de l’Etat et de la Région. Il vise aussi à relocaliser et relancer une filière sinistrée."
Pour les 75 % du hêtre restants à utiliser après découpe, Lannemezan veut ainsi s’inscrire dans le "bois énergie" en couplant scierie et centrale de cogénération biomasse mais se projette également en fournisseur de la papeterie de Saint-Gaudens, à 40 km de là, "ce qui permettrait de consolider l’activité".
"Le problème ? C’est que dans son estimation, l’IGN ne donne pas des volumes de bois exploitables mais des masses de végétation. Grâce aux drones, il survole les parcelles et détermine des hectares de hêtraies… Mais nous, les forestiers, nous regardons le pied des arbres, pas la cime : les belles coupes de hêtres ont disparu depuis longtemps et il faudra 300 à 400 000 m3 abattus pour fournir les 50 000 m3 de Florian", estime a contrario Pierre Sanguinet, représentant de la Fédération nationale du bois pour l’Occitanie, situant la viabilité d’un tel projet à "25 000 m3 par an".
"Surdimensionnement, absence de concertation, lourd investissement de fonds publics…" : l’un des porte-parole de "Touche pas à ma forêt !", Pascal Lachaud (PCF), élu à Capvern près de Lannemezan, dénonce au-delà "l’absence d’étude d’impact sur les milieux concernés, les corridors écologiques" et souhaiterait que le collectif participe à l’élaboration de la méthodologie. "La forêt est un écosystème vivant qui a besoin de bois plus gros aujourd’hui. Or dans un contexte de réchauffement, on va encore la fragiliser", souligne pour sa part Dominique Dall’Armi, syndicaliste Snupfen-Solidaires à l’ONF et autre porte-parole. Le 11 octobre, "Touche pas à ma forêt !" a mobilisé plus d’un millier de manifestants pour réclamer un moratoire. "Ce que je souhaite, c’est une concertation positive", répond Bernard Plano. "Emplois et avenir des forêts, ça mériterait un débat public", dit cette dame rentrant chez elle à Lannemezan.